Ma langue (...)
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Je préfèrerais ne pas l'attacher la dresser
ma langue n'est pas votre monture
ni votre esclave...
Un poème de Cathy Jurado pour Poèm' A Nans 2024...
Je préfèrerais ne pas policer ma langue
la lisser comme une chevelure de bimbo
une crinière de cheval de cirque
je préfèrerais qu'elle soit rugueuse
râpeuse hirsute pleine de nœuds
ma langue
je préfèrerais ne pas la polir faire des politesses
pas la rendre fréquentable
ma langue de poème
alors qu'elle se promène nue sous vos yeux
sans parure
blanche comme une peau de page noire
Je préfèrerais qu'elle aille lécher vos certitudes
ma langue
les coins obscènes de vos méninges
les replis de vos intimes
convictions
se frotter à la langue des autres la laper
s'y enrouler
je préfèrerais qu'on sache un peu à la fin
l'érotique du texte
qu'on sache
que le poème a la forme d'un désir
érigé par la langue
Je préfèrerais qu'on la laisse faire cette langue
il y a toujours quelque chose qui la retient
qui la tourne sept fois
avant que je puisse dégainer le moindre vers
et pourtant
cadenassée comme une sorcière
à l'idée d'exploser sa muselière
elle salive se cabre écume
c'est un petit cheval des steppes
indocile et têtu
je préfèrerais ne pas l'attacher la dresser
ma langue n'est pas votre monture
ni votre esclave
je préfèrerais qu'on cherche pas
à la domestiquer
elle n'aime rien plus que cabrer
galoper dans les plaines
je la préfèrerais sans bride sans cravache
sans mors
et la monter à cru parce que
si un jour elle s'attache
ce sera à sa propre mort
à son silence d'aigue morte de langue inerte
je préfèrerais pas
Cathy Jurado dans "J'aimerais mieux pas" aux Éditions Gros Textes
Cathy Jurado, originaire d’Aix-en-Provence vit aujourd’hui à Besançon.
Elle est agrégée de lettres et anime des ateliers d’écriture.
Les Forges de Vulcain ont édité son premier roman, “Nous tous sommes innocents”, et elle a publié en revue divers textes de critique d’art, de fiction ou de poésie.
Sa poésie prend racine dans un rapport intime avec la peinture et la photographie (collaborations avec le peintre marocain Hassan Echair, le plasticien Max Partezana, travaux sur les gravures de Gerard Palézieu ou sur les photographies de Marie Baille, Serge Assier). Mais l’écriture est pour elle, par nature, éminemment politique.
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Le poème mis en voix par Alain l.
Et en vidéo:
Photo Alain Montoyo : "Le chevalier inexistant"
(Photo Alain Montoyo...)