La Vierge du Lizon... (3)
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III.
Sur le soir, tandis que le père Nodier et sa fille soupaient au coin du foyer, on était au mois de mars, et les soirées étaient fraîches encore, un coup discret fut frappé à la porte, et presque aussitôt, entra dans la chambre un jeune homme de vingt-quatre à vingt-cinq ans, portant le costume campagnard, mais, dont les traits réguliers et presque délicats, dont la physionomie intelligente et ouverte inspiraient, à première vue, une irrésistible sympathie.
- Bonsoir, André, lui dit le père Nodier ; nous t'attendions.
Le jeune homme serra la main du vieillard et salua Marie d'un sourire plein de tendresse.
Un incarnat léger avait coloré les joues d'André et de Marie à l'instant où leurs yeux s'étaient rencontrés, mais tous deux se remirent promptement de leur trouble, et causèrent avec la familiarité et l'abandon de deux amis d'enfance qui ont coutume de se voir chaque jour, et dont l'affection a un caractère en quelque sorte fraternel.
- Qu'avez vous fait aujourd'hui Marie? demanda André en rapprochant son siège de celui de la jeune fille.
Marie sourit et répondit:
- Beaucoup de choses, André. J'ai travaillé, j'ai lu, j'ai cueilli des violettes, j'ai écouté chanter les pinsons et les fauvettes ; fleurs et oiseaux que j'aime parce qu'ils sont les précurseurs du printemps.
- Tu oublies, dit le père Nodier de nous parler de la visite que tu as faites à cette pauvre vieille malade, notre voisine, qui t'a pris en si grande affection depuis que tu lui as rendu tant de soins charitables. Savez vous, André, que pendant tout l'hiver Marie s'est privée de feu, dans sa chambre, pour que sa protégée eût du bois à son foyer.
- Grand-père, interrompit Marie avec une moue charmante, c'est mal à vous de trahir les secrets de votre petite fille : aussi dorénavant elle ne le vous les dira plus.
- Mais, sournoise enfant, s'écria le père Nodier, tu ne me les as jamais dits, tes chers secrets! Comment aurais-je connu tes privations, si le hasard ne me les avait pas fait découvrir?
- Marie, dit le jeune homme à son tour, nous savons tous que vous êtes la Providence du pays. Quand je veux me représenter les anges du ciel, je pense à vous : ils doivent avoir votre figure.
- André, André! dit Marie sur un ton de reproche.
Mais son regard avait, pour la seconde fois rencontré celui d'André fixé sur elle avec une expression d'adoration muette. Elle baissa les yeux en rougissant sous le feu de ce regard, puis se tut. Une tristesse étrange se peignit, tout à coup, sur son visage et elle tomba insensiblement dans une vague et profonde rêverie dont ne purent la distraire ni les interpellations de son grand-père, ni les paroles affectueuses du jeune villageois.
Ce n'était pas, à vrai dire, la première fois que Marie donnait des signes manifestes d'une inquiétante inégalité d'humeur. Souvent, depuis qu'elle avait atteint sa quinzième année, son grand-père avait remarqué en elle des tristesses subites et sans cause apparente que, malgré ses efforts, elle ne pouvait dissimuler à sa sollicitude.
Le père Nodier, s'était d'abord inquiété de cette bizarre inclination dont il cherchait en vain à pénétrer la cause. Plus tard, il avait fini par se rassurer un peu en se persuadant que les rêveries et les tristesses de sa petite fille n'étaient autre chose que ce trouble mystérieux qui s'empare de l'âme d'une vierge, lorsque, jettant les yeux sur les lointains horizons de la vie, elle commence à entrevoir pour elle de nouvelles destinées.
Nous verrons, par la suite de cette histoire, si le père Nodier avait raison de se reposer dans son optimisme.
La Vierge du Lison lu par alain l.