La Vierge du Lizon... (4.2)
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Le jeune homme s'arrêta brusquement et contempla sa compagne avec un indéfinissable regard où se peignaient à la fois la surprise, l'inquiétude et la passion contenues.
- Ah çà, Marie, dit il avec la plus adorable candeur, ne savez vous donc pas que je vous aime?
La jeune fille inclina, en rougissant, la tête sur son sein et répondit :
- Je le savais.
- Vous le saviez ! s'écria André. Eh bien ! non, je ne crois pas ; car si vous saviez quel amour j'ai pour vous, vous m'aimeriez aussi, et alors vous seriez heureuse comme moi ! C'est une si douce chose que d'aimer.
- Qui t'a dit que je ne t'aimais pas, André ?
- Alors, pourquoi es-tu triste ?
La jeune fille ne répondit pas.
Sans y penser, ils étaient arrivés à l'entrée de la grotte Sarrazine.
C'était l'heure du crépuscule.
L'air était alors rempli des cris aigus des hirondelles qui tourbillonnaient aux approches de la nuit sous le vaste dôme comme sous le porche des antiques cathédrales. Une fraîcheur pénétrante régnait dans cette retraite mystérieuse et solitaire. Des âmes moins vaillantes que nos deux jeunes campagnards auraient certainement ressenti, à cette heure avancée de la nuit, des impressions de terreur.
Ils s'assirent sur une roche au bord d'une nappe d'eau qui avait des teintes d'un bleu sombre, et ils restèrent quelques temps pensifs et comme hésitants sur ce qu'ils se diraient. Ils étaient heureux de ce tête-à-tête et de cette solitude, et l'on eût dit qu'ils en sentaient aussi pour la première fois la gêne et presque le péril. C'est que dans l'amour le plus discret, le plus saint et le plus pur, il vient un jour, une heure où la flamme secrète qui brûle dans le cœur doit se manifester dans le langage, et où cette sorte de honte qui retenait les paroles sur les lèvres doit enfin cesser. André et Marie en étaient là. Ils s'aimaient depuis longtemps, mais ils ne se l'étaient jamais dit avant ce jour.
- Marie, dit enfin le jeune homme, vous aurez dix-sept ans au prochain automne, et moi j'en ai eu vingt-cinq aux dernières Pâques. Je n'ai plus de parents et votre grand-père est déjà vieux. J'ai vécu auprès de vous, Marie, depuis votre enfance. Nous avons partagé les mêmes jeux. Nos deux mères s'estimaient. Tout le monde sait que vous êtes bonne, plus encore que vous n'êtes jolie, et moi, avec la grâce de Dieu, j'espère pouvoir faire aussi quelque chose de bien sur la terre dans la sphère modeste où je suis appelé à vivre. Si donc vous avez autant d'estime et d'affection pour moi que j'en ai pour vous, consentez à être ma femme et à la devenir bientôt.
André, à cet instant, vit la jeune fille détourner le visage, et sentit frissonner la main délicate qu'il sentait dans les siennes.
- J'aurais pu, continua-t-il, attendre encore quelques mois, quelques années avant de vous dire ces choses ; mais à quoi bon ? Ne vaut-il pas mieux, lorsqu'on s'aime, se le dire franchement et unir ses destinées aussitôt qu'on le peut ? Il ne faut pas que, si votre grand-père venait à mourir, vous restiez seule et sans protecteur. Je sais que son désir est que je sois le vôtre et qu'il approuvera notre union . Mais comme je ne veux vous tenir que de vous-même et de votre libre volonté, j'ai dû vous interroger d'abord afin de connaître vos sentiments pour moi. Répondez-moi donc, Marie, dans la sincérité de votre cœur : M'aimez vous et voulez-vous faire mon bonheur en devenant ma femme ?
La jeune fille, au lieu de répondre, retira des mains du jeune homme sa main, qui était glacée comme du marbre. Elle étouffa un sanglot douloureux et tomba à genoux.
La stupéfaction semblait avoir pétrifié André. Il s'inclina enfin vers sa compagne et lui dit d'une voix tremblante :
- Au nom du ciel, qu'avez vous ? La jeune fille resta à genoux quelques instants sans répondre, puis se releva lentement.
A la lueur d'une étoile qui brillait au dessus de la montagne, André put contempler le visage de Marie. La trace des larmes s'y découvrait dans la rougeur des yeux, mais une sérénité austère était peinte sur sa physionomie.
La Vierge du Lison lu par alain l.