L'Éphémère: "Léthargie" (...)

Un poème de Louis Pergaud...

 

 

Léthargie...

 

La mort avait cerné les portes de mon âme

Et sa vitreuse haleine embuant mes regards,

J'écoutais, sourdement, aux plaques de son fard,

De noirs essaims velus qui bourdonnaient leurs gammes ;

 

Son manteau noir sautait à sa voix de ténèbre,

Comme si quelque vent horriblement lubrique

Avait voulu, crevant les pans de sa tunique,

Jouir hideusement des ses appâts funèbres.



Telle qu'aux vieux tableaux, dans sa rigide pose,

Elle avançait pourtant, amoureuse d'horreur,

Posant comme un artiste en tragique fureur

La main dernière à l'œuvre en son mystère éclose.



Pinçant mon nez, bridant mes yeux, serrant ma lèvre,

Je la sentais encor, de son geste infernal,

Sur mon ventre flétri plaquer les verts du mal

Et convier ma crainte à des sabbats de fièvre.



Ma vie pourtant forcée comme un cerf aux abois,

Après avoir franchi le fleuve de mon sang,

Acculée par sa meute aux halliers du néant,

S'était blottie dans mon cerveau comme en un bois.

 

Et ma pensée ternie par les buées fatales

En son dernier refuge, et mourante à demi,

Gardait en elle, comme un guetteur endormi,

La torpide lueur d'une aurore hiémale.

 

Mon cadavre vêtu pour le dernier hymen,

J'écoutais s'épancher le flot sourd de la vie,

Et des voisins venus, la longue théorie

Vouer mon âme aux joies morne du vieil éden.



Passif, sous le vieux geste insultant de leur foi,

Qu'un vert rameau de buis dessinait dans l'air morne,

Je sentais se figer en gouttes d'eau énormes

Sur ma face l'horreur des grands signes de croix.
 


L'atmosphère affadie par les vapeurs d'encens

Préparait un prélude aux senteurs liturgiques,

Pour aiguiser, pendant ma veille léthargique,

Cette lucidité tragique des mourants.



Puis sur les bras puissants des porteurs, le cercueil

M'offrit l'asile étroit de ses planches de chêne,

Tandis qu'un chant rythmé de tragiques haleines

Pleurait lugubrement aux plis de mon linceul.

 

Je pressentis que la nef enfumée de veilleuses

Aux pas des assistants qui sonnaient sur les dalles,

Et le cœur éraillé des chantres à leurs stalles

Blessa grotesquement l'horreur silencieuse :

 

Je saignai sous l'affront de vieux rites infâmes

Forçant l'effort poussif des espoirs catholiques,

S'essayant sous les fûts de mon cœur hérétique

À cambrer leurs vieux reins aux jungles de mon âme.


Puis vers l'enclos où gît, dans l'herbe du silence,

L'immobile troupeau des tombes et des croix,

Muet, sous l'effrayante égide de la foi

Mon noir cortège alla dans sa froide démence.



Et le prêtre passant sous la douleur des saules,

Impassible, jetait, blasé des pleurs de femme,

Quand la haine trempait mon cœur comme une lame,

L'aumône de ses chants par-dessus mon épaule.



Alors, sous ma paupière où la vie s'agitait

Lourde comme une éponge imbibée de néant,

Saigna la vision, rouge éternellement,

Des demains étouffés où la mort me roulait :

 

Les coups sourds des cailloux aux planches du cercueil,

Le silence affolant de la première nuit,

Où vrillant sûrement ma couche de leur bruit

L'assaut des vers aux flancs cabrés de mon orgueil…



Et comme l'asphyxie aux farouches empreintes

En ma gorge haletante incrustait ses mains dures,

Pour m'épargner la vaine horreur des fins futures,

À la mort qui venait, je rendis ses étreintes !



Louis Pergaud

( Poème publié en 1906 dans les Annales de la Jeunesse Laïque )

 

 

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( Photo : J.C.L )

Article publié le Samedi 12 Mars 2022...

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