La Vierge du Lizon...(7.3)
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VII. (3)
- Mon bonheur! Mais quel bonheur voulez vous que j'espère, quand je nous verrai plus ? Mais vous êtes la lumière qui illumine mes yeux, vous êtes l'air que je respire, vous êtes ma pensée de tous les jours, mon rêve de toutes les nuits; vous êtes tout mon être. Arrachez-moi le coeur de la poitrine et écrasez-le sous vos pieds afin que ce cœur ne souffre plus ; ensuite vous accomplirez votre sacrifice !
En disant ces mots André ne put retenir un cri de désespoir .
- Mais qui donc voulez vous que j'aime, continua-t-il , si ce n'est vous ; puisque je n'ai plus de mère et que je n'ai pas de sœur ; et peut-on vivre sans aimer ? Vous voulez donc que ma vie se consume dans le regret et la douleur, que matin et soir je passe devant le seuil de votre maison solitaire, et que, vous vivante, je vous pleure comme si vous étiez morte !
- Plus rigoureux sera le sacrifice, plus belle sera au ciel la couronne ! dit Marie d'un ton fatal. Je la vois cette couronne qui m'est préparée ; il me semble que déjà j'y porte la main . Hélas moi aussi j'ai bien souffert, et je souffre !
- Si vous n'avez point pitié de moi, dit André, songez du moins à votre grand-père, à ce vieillard vénérable dont vous êtes l'unique joie et que vous précipiterez dans la tombe si vous l'abandonnez .
- Mon grand-père, lorsqu'il saura tout, ne pourra qu'approuver ma résolution, dit Marie . Je sens mon coeur défaillir et se briser à la pensée de le quitter ; mais il dépend de vous, André, d'adoucir mon chagrin . Vous vous souviendrez que je l'aimais ; il se rappellera que vous m'aimiez. Vous serez son fils: il sera votre père. Un jour, nous serons tous réunis dans le ciel, après avoir fait notre devoir sur la terre... Ah ! tu ne sauras jamais, André, toute l'étendue de mon sacrifice!
En disant ces mots, Marie, pâle comme une morte, appuya la main contre son sein, avec une contraction de douleur, et serait tombée si André ne l'avait soutenue dans ses bras. Au même instant, un éclair éblouissant déchira la nue et fut instantanément suivi d'un coup de tonnerre épouvantable. La foudre était tombée sur un rocher non loin des deux jeunes gens.
Marie poussa un faible cri et perdit entièrement connaissance.
Déjà la pluie commençait à tomber à larges gouttes. Le village était loin ; André ne pouvait songer à y transporter Marie avant le passage de l'ouragan . La grotte Sarrazine était plus près. Alors, saisissant la jeune fille dans ses bras, André courut du côté de ce refuge pour lui procurer un abri contre la tempête.
Quand il fut dans la grotte, il la déposa sur une sorte de lit de mousse et de feuilles sèches ; puis, se dépouillant de son habit, il en couvrit Marie dans le corps était glacé.
La pluie tombait à torrents ; les vents déchaînés hurlaient avec fureur, et les éclats de tonnerre étaient si formidables que les parois de granit de la grotte Sarrazine en était ébranlées.
C'était véritablement un dramatique spectacle que celui de cette jeune fille inanimée, couchée sur le seuil de la caverne, sur laquelle le doigt inexorable de la fatalité venait de poser son empreinte, tandis qu'agenouillé devant elle, un jeune homme éperdu s'efforçait de la rappeler aux sentiments de la vie. Ce spectacle, au milieu du fracas des éléments, à la lueur des éclairs, dans ce lieu sauvage que la nature semblait avoir préparé, comme un décor, pour des scènes de douleur eût frappé l'imagination la moins impressionnable.
Un quart d'heure s'écoula ; le vent de la tempête emportait les cris de désespoir d'André. Tout-à-coup aux cris du jeune homme d'autres cris répondirent :
- Si la providence m'envoyait du secours pensa-t-il en prêtant l'oreille .
Et il appela de toutes ses forces.
Un instant après, la lueur d'une torche brilla à travers le feuillage qui s'entr'ouvrit. André reconnut le père Nodier que deux paysans accompagnaient
- C'est Dieu qui vous envoie s'écria-t-il.
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La Vierge du Lison lu par alain l.