Charles Beauquier et Nans sous Sainte Anne: Légende ou Réalité (2)...
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Au terme de cette présentation, aucun doute n'est possible : La Source du Lison n'a contribué en rien à la naissance de la législation sur la protection des sites. Elle en a profité, mais ni plus ni moins que bien d'autres sites classés en 1912 dont la notoriété n'est plus à construire...
Mais si la réalité était peut-être en fait toute autre, comme nous le décrit Nathalie Vidal, Directrice des Archives départementales du Doubs, dans un article en début de l'ouvrage :
"Les mondes de Beauquier" aux Editions du Sekoya:
Mais revenons encore un peu à la "légende"...Elle est si belle...
( Panneau commémoratif inauguré le 11 Septembre 2002... Nous recherchons plus d'éléments sur cette cérémonie...
Photos, articles de journaux ou autres... )
Une source, un procès, une loi
La source du Lison est à l'origine de la législation sur la protection de l'environnement.
En 1899, le propriétaire d'un moulin aujourd'hui détruit, prévoyait de capter l'eau et de remplacer la cascade par une conduite forcée. La source étant propriété communale, les habitants de Nans-sous-Sainte-Anne se mobilisèrent et firent appel au député, Charles BEAUQUIER.
Après deux procès, ils gagnèrent définitivement en 1902.
Charles BEAUQUIER 1833 - 1916
Juriste, homme de lettres et député du Doubs de 1880 à 1914, fut l'un des fondateurs de la Société pour la Protection des Paysages et de l'Esthétique de la France, dont il devint le deuxième président (1901 à 1916), succédant à Sully Prud'homme.
Pour conforter la victoire du Lison et protéger les sites pittoresques de France, Charles Beauquier fit voter le 21 avril 1906, la première loi de protection de l'environnement, dite loi Beauquier.
Société pour la Protection des
Paysages et de l' Esthétique de la
France
Une vidéo sera peut-être plus parlante...
Écoutons les arguments de Nathalie Vidal...
"Charles Beauquier a-t-il sauvé la Source du Lison ? Naissance d'une rumeur. "
" Qui consulte Wikipédia aujourd'hui ne peut en douter : « La source du Lison est à l'origine de la législation sur la protection de l'environnement ! »
À en croire la célèbre encyclopédie participative, c'est bien à Nans-sous-Sainte-Anne qu'on trouve l'origine de la loi dite Beauquier, qui institue le classement des sites naturels.
Un industriel, propriétaire de la source, voulait y mener des travaux importants, entendant canaliser complètement la source pour en augmenter la force motrice. Émus par cette atteinte à une propriété communale, « les habitants de Nans-sous-Sainte-Anne se mobilisèrent et firent appel au député ». Le procès intenté une fois gagné, c'est « pour conforter la victoire juridique du Lison » que Charles Beauquier fit adopter la loi qui porte son nom.
Belle histoire, que la rumeur locale enrichit encore.
Aujourd'hui, on trouve à Nans-sous Sainte-Anne - où une plaque posée il y a une dizaine d'années par la direction régionale de l'Environnement célèbre le rôle joué par Charles Beauquier dans le sauvetage du site - des habitants pour présenter le député du Doubs conduisant une manifestation populaire à la source, pour lui prêter un rôle d'expert ou d'arbitre dans le procès, voire pour suggérer son intervention personnelle dans l'établissement du « plan juridique » grâce auquel la cour d'appel avait scellé le sort des travaux !
Pourtant, les sources existent, qui permettent de comprendre, sans ambiguïté aucune, ce qui s'est passé à la source du Lison au début du XX° siècle. Elles sont dispersées dans plusieurs séries (O, S, T et U), mais toutes conservées aux archives départementales du Doubs et, bien sûr, librement consultables. Elles donnent une image tout à fait sûre du rôle de Charles Beauquier dans le classement des sites naturels du Doubs, qui rend encore plus difficile à expliquer le développement et la persistance de la rumeur ...
[...]
Nathalie Vidal développe ensuite longuement ses arguments historiques visant à démontrer que le projet de l'Industriel Prost de capter l'eau du Lison aurait été abandonné de toute façon sans l'intervention très limitée de Charles Beauquier...
Alors, comment s'expliquer la force et l'enracinement de la rumeur ?
On peut assez facilement expliquer l'origine de ce qu'il faut bien appeler une légende.
Si Charles Beauquier n'a semble-t-il jamais vu que de loin les richesses naturelles du plateau d'Amancey, il a participé activement au sauvetage de la source de la Loue, où l'on retrouve presque tous les éléments de l'histoire qui nous est racontée au Lison.
Le propriétaire, on l'a dit, a refusé en 1910 le classement proposé par la commission départementale des sites, au motif qu'il y envisageait un important projet industriel.
L'opinion publique s'en est émue, et une « Société pour la protection de la source de la Loue » a été créée, dont Charles Beauquier est le président du comité d'honneur. Elle lance dès 1913 une souscription, avec la vaste ambition de racheter ou d'exproprier l'usine et de créer autour de la source un « parc national » inspiré de l'exemple américain, souvent cité comme modèle.
Charles Beauquier est l'un des premiers donateur. L'affaire fait grand bruit et, malgré l'échec (relatif) de la souscription, les travaux sont arrêtés et ne reprendront jamais.
On imagine sans peine que le classique lapsus entre Loue et Lison, conforté par l'existence d'une usine au pied des deux sources et par la concomitance des travaux qui y sont envisagés, a pu expliquer la naissance de la rumeur, d'ailleurs tout à fait récente : il semble qu'elle apparaît dans une brochure rédigée par le maire de Nans-sous-Sainte-Anne, Gilbert Carrez, il y a une quinzaine d'années. Il y utilise les travaux d'un étudiant dont la citation n'a malheureusement pas pu être contrôlée.
On trouve là l'explication de la force de la rumeur, qui a résisté et résistera longtemps encore n'en doutons pas à toute démonstration historique: la convergence entre un homme, député à l'énergie bouillonnante, à l'activité intellectuelle démesurée, et un territoire qui a su l'y ancrer- sans doute bien malgré son action réelle.
De Charles Beauquier, dont l'intérêt pour les paysages, pour le folklore, pour le terroir comtois n'est plus à décrire, il était bien tentant de faire un démiurge, capable à lui seul d'éloigner les usines et de mettre à bas les projets des ingénieurs.
Alors, peu importe la vérité historique: sans l'adhésion de tout un village, de tout un plateau même, à cette belle histoire, Charles Beauquier n'aurait pas connu en 2012 sa nouvelle heure de gloire dans le Doubs.
Si les maires de Nans-sous-Sainte-Anne et de Sainte-Anne d'aujourd'hui et quelques uns de leurs amis et administrés n'avaient pas cru à la légende, auraient-ils mis l'énergie qu'ils ont déployée à porter l'association Beauquier 2012 et à organiser et réussir une grande fête populaire, réunissant le folklore d'aujourd'hui et les traditions, les satisfactions intellectuelles et les bonheurs gastronomiques, le goût pour le paysage et la culture sous toutes ses formes ?
Je laisse à d'autres que moi, ethnologues bien plus qualifiés, le soin d'analyser plus avant les fondements et la transmission de la rumeur; je constate simplement qu'elle a réussi à faire de Charles Beauquier l'homme d'un petit pays qu'il ne savait pas situer sur la carte, mais qui a su préserver sa mémoire.
Et tant pis si l'historien ou l'archiviste n'y trouvent pas tout à fait leur compte.
Nathalie Vidal
© "Les mondes de Beauquier" aux Editions du Sekoya
(Extrait publié avec l'autorisation d'Alain Mendel pour les Éditions du Sekoya)
Première partie de l'article ici:
Personnalité originale et puissante, Charles Beauquier a compris avant beaucoup d'autres l'importance pour notre vie quotidienne, de la défense de l'environnement et de la préservation de la ...
https://vivranans.info/2022/12/charles-beauquier-et-nans-sous-sainte-anne-legende-ou-realite.html