"Jeudi" (3) ...

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Troisième et dernier épisode de notre  feuilleton à partir d'une nouvelle de Dominique Mausservey:
 

 

JEUDI...

 

 

Mercredi matin, bien qu'il ait la possibilité de paresser sous les draps, Victor entendit le tonitruant «Cocoriiico ! » et se leva dès que Charline fut dans la cuisine. Lorsqu'elle le vit, elle lui rappela que cette journée de congé était prévue pour se reposer donc pour dormir plus longtemps. Face à la moue de son enfant, elle plaisanta :

-  Il était inutile de sauter du lit, c’est pas pour aujourd’hui.

Victor ne voulait pas entendre ces propos défaitistes et il se boucha les oreilles. Pour une raison inconnue, Moutardo planta ses griffes dans un chausson de son maître.
-  Mais arrête ! s’indigna le garçon.

Pourquoi le chat était-il plus nerveux que d’ordinaire ? Victor ne cherchait pas à comprendre le félin, Cadette occupait toutes ses pensées. Les gestes de Charline semblaient plus lents que d'habitude. Alors que Victor piaffait d'impatience elle tenta de le calmer :

-  On n’est pas jeudi donc c’est trop tôt.

Elle lui donna l'autorisation de sortir. Aussitôt le gamin se précipita au dehors et détala en direction du poulailler. Surpris par cette vivacité, Moutardo fonça lui aussi mais stoppa juste à temps pour ne pas être écrasé par la porte qui se refermait. Charline observa Victor qui traversait la cour à toute vitesse. Elle sourit et dit :

-  T'es un ange, mon p'tit gars.

Il dépassa le coq agacé par ces passages répétés. Le canard fut étonné par la vitesse de Victor qui dérapa avant de rejoindre Cadette. Les yeux à demi fermés, elle le fixait avec un regard différent. Son plumage était plus terne que les jours précédents. Elle entrouvrit le bec comme si elle voulait parler mais aucun son ne s’en échappa. Le cœur de Victor se serra. Il se posa des questions : Un drame s’était-il déroulé cette nuit ? Était-ce un renard, une fouine, un rôdeur ou un homme malintentionné qui aurait perturbé le calme nécessaire à Cadette ? Victor perçut des « Pioupiou, Pioupiou » étouffés. Un long frisson de félicité parcourut son corps. Ses yeux interrogateurs s’écarquillèrent puis ses lèvres s’étirèrent en un large sourire. Il souleva la poule de côté et entendit une jolie cacophonie :

-  Pioupiou, Piou, Pioupiou, Pioupiou, Piou, Piou, Pioupiou !!

Devant ce fabuleux spectacle, Victor n’osait bouger. Il resta ainsi, à admirer les poussins. La joie irradiait son visage. Enfin rassasié par cette vision magnifique, il reposa délicatement Cadette, bondit hors du local pour partager cette sensation nouvelle avec sa mère et appela :

-  Maman ! Maman ! Maman !

Il entra en trombe dans la cuisine et annonça :

-  Maman ! Maman ! Ils sont nés.

Moutardo approcha car il sentait une nouvelle odeur apportée par Victor. Il se lécha les babines de gourmandise mais la femme le remarqua et gronda :

-  Toi, tu n’y a pas droit.

Elle l’enferma et sortit accompagnée de Victor. Ils allèrent retrouver la basse-cour. L’enfant se déplaçait par petits bonds. Ravie, elle le couvait du regard et partageait sa joie. Le canard et le coq virent d’un mauvais œil la présence de deux personnes dans leur espace. Parvenus dans le poulailler, Charline porta Cadette des deux mains et Victor put admirer les petites boules de duvet jaune serrées les unes contre les autres. Il n’en croyait pas ses yeux. Comment un tel spectacle était-il réalisable ? Des « Pioupiou » s’élevaient de cette masse de couleur or.  Certainement fatiguées par une nuit mouvementée, les petites pelotes remuaient peu. Victor les compta, les recompta puis dit :

-  Douze ! Y'en a douze.

Il tendit son index, en caressa plusieurs au hasard et les félicita :

-  Vous êtes les plus beaux poussins du monde.

Avec délicatesse, Charline installa Cadette sur les nouveaux nés.

-  Il faut les laisser tranquilles pour qu'ils se reposent.

Victor aurait voulu rester plus longtemps mais il obéit à sa maman car elle savait mieux que lui ce qui était bon pour les animaux. Ils revinrent à la maison où Moutardo leur montra sa mauvaise humeur. Avec un regard fuyant et des oreilles basses, il les feula. Charline prévint son fils :

-  Ne va jamais les voir avec Moutardo. Il en croquerait.…

-  Pas lui, s’indigna-t-il. II est trop gentil.

-  C'est un chat et son instinct lui dit de les manger.

Victor acquiesça mais ne put dissimuler un sourire malicieux et dit :

-  Maman, tu t'es trompée, ils sont nés mercredi et pas jeudi.

- Quand j'ai mis les œufs sous Cadette, j’avais calculé pour que les poussins naissent aujourd’hui …

L'amour maternel était à l’origine de ce mensonge exquis. Toutefois une erreur de calcul n’était pas à écarter. Laquelle des solutions Charline avait-elle privilégiée ? Peut-être les deux...

 

FIN

 🧐: ( Début de la nouvelle ici: https://vivranans.info/2023/01/jeudi.html )

L'extrait lu provisoirement par Alain L. :

Nouvelle publiée  dans  "Mensonges Exquis" aux Éditions ACAI.

( Photo Georges Morel : Une ferme du Haut Doubs)

Article publié le Mercredi 25 Janvier 2023...

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